Site icon Balkans-Actu

Albin Kurti, encombrant allié de l’Ouest

À la fin des années 1990, l’Ouest a massivement pris le parti des Albanais du Kosovo face aux Serbes. Un soutien qui a mené à l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999, puis à la déclaration de son indépendance en 2008, et qui ne s’est pas démenti pendant plusieurs années ensuite, jusqu’à aujourd’hui. Mais demain ?

En octobre 2019, le parti Vetevendosje (“Autodétermination”) remportait les élections législatives au Kosovo, et installait son leader Albin Kurti au poste de Premier ministre. Pour certains, c’était un soulagement : Albin Kurti était le premier dirigeant du Kosovo à ne pas être passé par les rangs de l’UCK, milice indépendantiste albanaise qualifiée de terroriste par une partie de l’Ouest en 1996, puis de “combattants de la liberté” à partir de 1998. Dissoute à la fin du conflit de 1999, ses membres rempliront les rangs de la nouvelle police du Kosovo, et ses commandants prendront les postes politiques les plus en vue.

Pour d’autres, moins optimistes, Albin Kurti n’était pas moins dangereux pour les Serbes que ses prédécesseurs : ancien leader étudiant nationaliste, il est passé par les prisons yougoslaves. La lecture du programme de son parti allait d’ailleurs plutôt dans ce sens. On y lisait : “Vetevendosje vise un Kosovo souverain, c’est-à-dire un Kosovo qui contrôle ses ressources naturelles et jouit du droit de disposer de sa propre force militaire, ainsi que du droit de rejoindre l’Albanie”.

Si le Kosovo ne dispose pas de sa propre armée, c’est en raison de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies qui le lui interdit. La création de cette armée est vue par beaucoup comme une menace pour les minorités vivant encore au Kosovo, et particulièrement les Serbes. Quant au droit de rejoindre l’Albanie, il s’oppose également à l’idée même d’indépendance du Kosovo, idée déjà abîmée par l’utilisation massive par les Albanais du Kosovo du drapeau albanais au détriment du drapeau du Kosovo, qui n’est utilisé quasiment que sur les bâtiments officiels. En novembre 2017 déjà, le “jour du drapeau albanais”, grande fête durant laquelle tous les Albanais, où qu’ils vivent, célèbrent la proclamation de la première République albanaise à Vlorë le 28 novembre 1925, avait été déclaré jour férié au Kosovo, un élément de plus montrant que beaucoup de Kosovars se sentent en fait bien plus Albanais que Kosovars.

Les craintes des “pessimistes” se sont rapidement confirmées : Albin Kurti n’a pas tardé à montrer qu’il ne serait certainement pas le Premier ministre de l’apaisement des relations entre le Kosovo et la Serbie. Les attaques contre les Serbes n’ont pas diminué, au contraire : de plus en plus souvent, elles ne venaient plus de simples citoyens agissant d’eux-mêmes – certes bien peu inquiétés ensuite par les autorités judiciaires –, mais directement des autorités elles-mêmes, à tous les niveaux. Le Département d’État américain pouvait continuer de dénoncer, chque année, les trop nombreuses attaques ciblant les minorités, serbe en tête. Dans son rapport de 2021, on lit : « L’ONG AKTIV a signalé plus de 20 incidents entre mars et juin visant les Serbes du Kosovo, y compris des incendies criminels, des attaques physiques et des vols. Entre janvier et octobre, le ministère des Communautés et du Retour a reçu des plaintes concernant 49 incidents de sécurité affectant des Serbes du Kosovo et des rapatriés. En juillet, ont été relevés 45 incidents affectant principalement les rapatriés et leurs biens, principalement dans la région de Pec. » Mais sont aussi dénoncées une « protection insuffisante du droit de propriété » et une « incapacité des tribunaux à résoudre les conflits de propriété », spécialement quand il s’agit de plaignants serbes rapatriés.

Pendant ce temps, sur le plan diplomatique, les discussions entre Belgrade et Pristina sur la question du Kosovo continuent, sous l’égide de Bruxelles et des États-Unis. Ces deux chaperons commencent bientôt à s’agacer du peu d’avancées qui sortent de ces échanges… et à suggérer que les responsabilités ne sont plus à rechercher que du côté serbe. Si bien qu’en décembre 2022, le journal le Monde peut écrire, dans un article attaquant directement Albin Kurti : « Si la partie serbe n’est pas dénuée de reproches avec cette rhétorique guerrière, la source des tensions actuelles est toutefois d’abord à chercher à Pristina. » Ceci advient alors même qu’Aleksandar Vučić a menacé de déployer l’armée, ce qui quelques années plus tôt aurait été l’occasion parfaite de dénoncer encore une fois la Serbie et ses supposées velléités de reconquête. L’agacement est donc déjà bien implanté.

En juin 2023, c’est au tour de RFI d’y aller encore plus fort en déclarant : “les pays occidentaux ne cachent plus leur agacement à l’encontre de son Premier ministre, l’inflexible Albin Kurti. Au point que désormais Washington et Bruxelles agitent la menace de sanctions”. On apprend dans le même article qu’à Pristina “plusieurs partis d’opposition brandissent déjà la menace d’une motion de censure”. 

Quelques jours plus tard, le Monde encore se fait le relais d’une affaire qui montre bien que même au Kosovo la violence du sentiment antiserbe d’Albin Kurti dérange : la chaine d’info “Klan Kosova”, première chaîne de télévision privée du Kosovo, qui emploie 230 personnes, est menacée de fermeture par le Premier ministre. “Nous faisons face à une procédure kafkaïenne très organisée et très politique, associée à une campagne des partisans du parti au pouvoir qui nous accusent, sans aucun fondement, de recevoir des fonds serbes”, dénonce Adriatik Kelmendi, journaliste et membre du conseil d’administration de la chaîne Klan Kosova. Le Monde titre sur la “dérive autoritaire” d’Albin Kurti et évoque le congédiement d’un fonctionnaire ayant pris une décision favorable à la chaîne, remplacé par un proche du pouvoir. Cette affaire poussera la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et les États-Unis à faire part de leur “grande inquiétude”. 

Le nationalisme d’Albin Kurti, en irritant ses alliés, semble donc pouvoir finir par se retourner contre lui et contre les Albanais du Kosovo. Ceux-ci sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à dénoncer également la politique antiserbe de Kurti. En septembre 2024, plusieurs politiques albanais du Kosovo ont réagi avec force à l’arrestation du Président du parti politique “la Démocratie Serbe”, Aleksandar Arsenijević, arrêté en pleine rue pour avoir manifesté contre la venir de Kurti dans le Nord, dénonçant une “action honteuse de la police” et une “atteinte à la liberté d’expression”. Un agacement ressenti également suite à la dernière vidéo de campagne publiée par Vetevendosje, dans laquelle le focus était fait sur les actions de Kurti contre les Serbes du nord du Kosovo, ce qui a provoqué une vague de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, venant de citoyens albanais manifestement lassés de cette obsession de leur Premier ministre.

La rédaction de Balkans-actu

Quitter la version mobile