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Entretien : “Athos : Échos de la Sainte Montagne”, un projet artistique transdisciplinaire

Ce projet du collectif FLEE a pour objectif de présenter le patrimoine vivant du Mont Athos au moyen d’un double album et d’un livre d’art invitant des artistes et chercheurs contemporains à aborder, revisiter et discuter de ses implications contemporaines.

La Sainte Montagne du Mont Athos est une péninsule grecque au statut particulier puisqu’elle est autonome juridiquement et habitée par des moines orthodoxes. Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, 20 monastères composent la communauté monastique dont le monastère serbe Hilandar qui est particulièrement important. La majorité des monastères sont grecs mais aussi bulgares, roumains (des skites), russes, et géorgiens.

Pouvez-vous d’abord nous présenter FLEE ?

FLEE est né il y a 7 ans, c’est une sorte d’OVNI situé entre la maison d’édition et le label discographique, nous organisons aussi des expositions. L’idée était de documenter des phénomènes culturels ayant une composante sonore ou audio sous le prisme d’une approche transdisciplinaire. Nous faisons intervenir des témoins, des chercheurs et ensuite des artistes dans une deuxième phase de réinterprétation artistique, sans volonté de créer une hiérarchie de discours. Dans la troisième phase de notre travail, nous adoptons une approche plus réflexive voire critique.

Comment est venue l’idée de ce projet lié au Mont Athos ?

Nous avons trouvé des enregistrements sonores provenant du Mont Athos au musée d’ethnographie de Genève, réalisés par l’ethnomusicologue Samuel Baud-Bovy dans les années 60. Au même moment, un ami chercheur en Angleterre à l’université UCL se rendait au Mont Athos, cette coïncidence et sa connaissance des monastères athonites nous a donné l’idée de creuser ce sujet.

Nous nous sommes alors rendus sur place en sa compagnie, nous avons pu visiter une partie des monastères grecs, rencontrer les moines et réaliser des enregistrements sur une dizaine de jours. Grâce à des spécialistes de la musique byzantine et des monastères athonites nous avons pu nous préparer au mieux et cibler les personnes que l’on voulait rencontrer et enregistrer.

L’album est composé de deux vinyles, pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous travaillons toujours de la même manière, le premier vinyle regroupe des enregistrements “authentiques” recueillis par nos soins il y a deux ans et par Samuel Baud-Bovy en 1961, nous pouvons dire que c’est un vinyle sacré de chants et de prières. Nous avons d’ailleurs retrouvé un moine qui avait été enregistré par l’ethnomusicologue dans les années 60, malheureusement il était trop âgé lors de notre rencontre 60 ans après.

Pour le second vinyle, nous avons fait appel à divers artistes contemporains, tels que Jimi Tenor, Holy Tongue, Jay Glass Dubs, Gilb’r, Inre Kretsen Grupp, Prins Emanuel et Murat Ertel. Ils viennent de Grèce et du monde entier, leur tâche était de revisiter la musique athonite à leur sauce. Certains ont plutôt été intéressés par la recherche esthétique tandis que d’autres ont davantage approfondi le sujet du Mont Athos.
Nous nous sommes beaucoup interrogés sur la question de la légitimité de travailler sur de la musique sacrée pour la transformer en musique profane mais nous avons tenu à le faire dans une démarche respectueuse. Certains moines nous ont donné leur aval tandis que d’autres n’ont pas forcément compris cette partie “remix” présente sur le vinyle.

En plus de cela vous éditez aussi un livre, quels autres artistes ont participé à cette partie du projet ?

Nous avons fait appel à un photographe grec, Stratos Kalafatis, qui a pris des photos au Mont Athos, certains moines se sont même pris au jeu en posant devant l’objectif. Ce n’est pas le seul artiste présent dans le livre puisqu’il y a aussi une présentation de plusieurs œuvres. L’une d’elle est une table faite de pierres réalisée par un sculpteur grec, Theodore Psychoyos, rappelant la géographie de la péninsule entourée par la mer et la table autour de laquelle les moines se retrouvent pour le repas.
L’autre œuvre, également d’un artiste grec, Tefra90, est une peinture performative, réalisée à partir de la combustion de bougies, laissant entrevoir des cloches dans une atmosphère mystérieuse.
Dans une section du livre il y a aussi un rappel au vinyle, les artistes musicaux y partagent leur démarche en rapport avec la musique athonite.

Le livre comporte plusieurs textes d’auteurs différents, pouvez-vous nous en dire plus ?

Le Père Damaskinis du monastère Xénophon signe un texte historique sur le renouveau athonite, qui doit beaucoup à un moine hésychaste du XXe siècle prénommé Joseph. Depuis quelques décennies les monastères serbe, bulgare, russe et les skites roumains participent aussi à ce renouveau depuis la chute du communisme en recevant un soutien financier de leur pays.
Le musicologue Thomas Apostolopoulos nous donne ensuite un panorama passionnant de la musique byzantine athonite depuis l’intérieur. Lorsque nous nous sommes rendus là-bas pour notre projet nous avions remarqué une certaine humilité chez les moines, mais ils s’accordaient tout de même à nous révéler qui étaient les meilleurs chantres parmi eux.

Mais certains d’entre eux ont une approche plus réflexive..

En effet, nous ne voulions pas créer un projet à sens unique, plusieurs approches et regards sont présents dans ce projet qui reste laïc. Le Mont Athos est un lieu atemporel, complexe, et nous conseillons d’ailleurs à toute personne intéressée de s’y rendre.
Mais en même temps il s’agit d’un lieu de plus en plus touristique, avec une véritable économie, un texte de Michelangelo Paganopoulos aborde justement la question de l’authenticité dans ce contexte. Les femmes, n’étant pas autorisées à y entrer car la péninsule est consacrée à la Vierge Marie, participent de loin à cet essor du tourisme pèlerin via des croisières, l’anthropologue Phaedra Douzina-Bakalaki aborde ce sujet et les exceptions rencontrées au fil des siècles.
On peut citer Elena la femme du roi serbe Dušan qui avait fui une épidémie de peste ou une autre serbe comme Mara Branković épouse du sultan Mourad II qui aurait rendu des reliques de Sainte Sophie après la prise de Constantinople.
Un autre anthropologue, Makar Tereshin, conclut le livre avec un texte évoquant l’aspect politique de la péninsule monastique. Il y a d’ailleurs des individus d’ex-Yougoslavie qui ont fui les Balkans pour le Mont Athos après la guerre, mais ici il y est question des relations avec la Russie depuis le Xe siècle jusqu’à aujourd’hui avec la guerre en Ukraine. Les tensions entre Moscou et Constantinople, ainsi que l’autocéphalie de l’Église ukrainienne, résonnent jusqu’au Mont Athos au milieu des prières.


Le projet Athos : Échos de la Sainte Montagne a été présenté lors plusieurs événements à Athènes, Paris et Londres mêlant exposition d’œuvres, concert et conférence.

Le double album et le livre, ainsi que leurs autres projets, sont en vente sur le site internet de FLEE.

Fondé par Olivier Duport, Alan Marzo et Carl Åhnebrink, FLEE est une maison d’édition indépendante, un label de disques et une plateforme curatoriale dédiée à la documentation et à la réinterprétation artistique de phénomènes culturels hybrides. Défendant une pratique transdisciplinaire, la plateforme explore et met en lumière de manière créative les contours de la mondialisation dans une perspective historique et critique. Oscillant entre différents sujets et disciplines, de la musique à l’architecture, le collectif poursuit une méthode de travail inclusive, privilégiant des points de vue divers et variés.

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