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La Haye : un ancien commandant de l’UCK acquitté “faute de preuves” chante “la pureté de l’UCK”

Shukri Buja, ancien commandant de l'UCK, avec ses avocats.

Le 7 novembre, Shukri Buja (au centre de la photo), ancien commandant de l’UCK (“Armée de libération du Kosovo”) de la zone opérationnelle de Nerodimlje, a annoncé sur sa page Facebook avoir été innocenté par le Tribunal spécial de la Haye pour la Kosovo.

Un message intéressant dans la mesure où il précise que cet acquittement a été fait sur la base de l’absence de preuves : “Grâce à mes avocats, Sir Geoffrey Nice et Taulant Hodaj, et à leur insistance à clôturer les enquêtes faute de preuves, j’ai reçu cette semaine la confirmation officielle que tout est définitivement clos”. Ce qui ne l’empêche pas de clamer que cet acquittement est “une preuve de l’innocence et de la pureté de l’UCK”.

Cette absence de preuves est pourtant exactement le contraire : elle est une preuve de plus de la perversité des anciens membres de l’UCK, une perversité qui ne s’est pas seulement exprimée dans le contexte trouble d’une guerre civile, mais qui continue de faire des victimes aujourd’hui.

Rappelons d’abord que ce même Shukri Buja n’en est pas à sa première visite à la Haye. Il avait été appelé à témoigner en 2002 lors du procès de Slobodan Milosević. À cette occasion, il avait fait preuve d’une mémoire aiguisée, donnant de nombreux détails sur son implication dans les combats contre l’armée yougoslave, notamment dans la ville de Račak à l’occasion de ce qui sera ensuite appelé “massacre de Račak” et donnera à l’OTAN un prétexte pour bombarder la Serbie et envahir le Kosovo. Il y racontait alors ceci : 

« Shukri Buja a confirmé aujourd’hui qu’en janvier 1999, il y avait 47 membres de l’UCK, soldats et « personnel de soutien » à Račak. Leur base se trouvait à l’entrée du village et ils disposaient d’un bunker et d’un système de tranchées sur une colline voisine. Au tout début de l’attaque coordonnée de l’armée et de la police, à l’aube du 15 janvier, selon le témoignage de l’ancien commandant, 8 soldats de l’UCK qui tentaient de se retirer de la base et du bunker ont été tués, et plus tard le jour même, deux autres soldats ont été tués et huit ont été blessés. ».

Il avait donc des souvenirs assez précis en 2002, souvenirs qui par ailleurs contredisaient la version officielle selon laquelle il n’y avait que des civils innocents à Račak. Hélas, “la vieillesse est un naufrage”, et en 2019, interrogé à nouveau à la Haye dans le cadre du procès des anciens commandants de l’UCK Hashim Thaci, Jakub Krasnići, Redžep Seljimi et Kadri Veselji, Shukri Buja n’a plus rien su répondre d’autre que “Je ne sais pas”, “je ne me souviens pas”. Il a massivement contredit ses premiers témoignages, et même ce qu’il a écrit dans un livre, assurant avoir “embelli les choses pour le bien des générations futures”. 

Mais Shukri Buja a de la chance : lui a pu témoigner devant le tribunal. Fadil Syleviqi, Nazmi Rrustemi n’en ont pas eu l’occasion. Tous les deux étaient témoins à charge dans les procès d’anciens membres de l’UCK. Tous les deux ont été retrouvés morts, à un an d’intervalle exactement, sur les rives du même lac au Kosovo. Tous les deux avaient été victimes de plusieurs attaques durant les années précédant leur mort, dont une avait coûté la vie à un proche de Fadil Syleviqi. Ce ne sont pas les seuls exemples : en 2011, le procès contre l’ancien Premier ministre et commandant Ramush Haradinaj s’était conclu par un acquittement, « en raison de la disparition, la mort ou l’amnésie de 12 témoins à charge », précisait RFI.

À cette occasion, Xavier Bout de Marnhac, Chef de la mission Eulex au Kosovo, chargée de la protection de ces témoins, avait publié une lettre ouverte dans laquelle il contestait les accusation de négligence, rappelant qu’Eulex disposait d’une unité spécialement dédiée à cette protection, “composée d’officiers qui ont une expérience considérable dans ce domaine hautement sensible”. On y apprenait également que les autorités du Kosovo travaillaient elles aussi à monter une unité dédiée à cette protection, ce qui n’est pas sans poser question, la police du Kosovo étant composée en grande partie d’anciens de l’UCK, et dirigée en plus haut lieu par des gens n’ayant aucun intérêt à voir le combat de “libération” du Kosovo sali

Dans sa lettre ouverte, Xavier Bout de Marnhac écrivait : “Des choses sont faites pour offrir une plus grande protection aux témoins, mais ça prendra du temps”. En attendant, les témoins continuent de disparaître, et les anciens commandants de l’UCK peuvent continuer de chanter “la pureté” du mouvement qui les fait disparaître.

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