Le 2 octobre dernier, l’ONG « Reporters sans frontières » (RSF) a publié un article critique à l’encontre de la chaîne d’information russe « Russia Today » (RT), en particulier concernant son implantation dans les Balkans et le travail de ses journalistes dans la région. RSF reproche à la Serbie de ne pas avoir censuré la chaîne RT, contrairement à ce qu’a fait l’Union européenne.
Le journaliste Pavol Szalai, responsable du bureau UE-Balkans de RSF, déclare : “Avec RT Balkans, la propagande de guerre du Kremlin prospère à l’intérieur des frontières de l’UE. En Serbie, pays entouré de membres de l’UE et de candidats, les récits russes sont adaptés aux audiences locales avant d’être diffusés dans toute la région. Cette usine à mensonges doit être fermée. L’UE doit demander des comptes à la Serbie – qui aspire à la rejoindre – pour avoir facilité le travail de la machine de propagande de Vladimir Poutine. Elle doit mettre en œuvre des solutions systémiques pour protéger l’espace informationnel européen et soutenir fermement un journalisme digne de confiance, garantissant le droit à l’information fiable des citoyens.”
Souvent critique envers l’ancien gouvernement polonais ou le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, Pavol Szalai saisit chaque occasion pour s’en prendre au gouvernement serbe, l’accusant de tenter de faire taire les journalistes tout en lui reprochant de ne pas fermer RT Balkans. Il s’est également félicité du travail de son ONG quand elle a mis en garde l’Arcom en France concernant la chaîne CNews et la non-reconduction de la chaîne C8, toutes deux appartenant au groupe Bolloré.
Ce biais contre le gouvernement serbe n’est hélas pas une première de la part de RSF, qui, sous couvert d’une mission noble et juste – soutenir la liberté de la presse à l’échelle mondiale et défendre les journalistes emprisonnés simplement parce qu’ils exercent leur métier –, s’est en fait régulièrement mis au service d’un agenda politique notoirement antiserbe.
Un rapport gardant un flou pudique
Tous les ans, RSF dresse la liste des journalistes tués ou enlevés en raison de leur métier de journaliste. Dans le rapport de 1999, on constate que les victimes serbes de ces crimes sont reléguées à l’arrière-plan, notamment les 16 victimes du bombardement de la Radio Télévision Serbe (RTS) à Belgrade le 23 avril 1999. La majorité de ces victimes étaient des techniciens, pas des journalistes, ce qui explique que le rapport n’indique que six morts en “République fédérale de Yougoslavie”. Néanmoins, on pourra s’étonner que le rapport donne des détails plus ou moins précis sur les autres tués ailleurs dans le monde, dont six sont désignés par leur nom. Les seuls détails concernant certains de ces six morts en “République fédérale de Yougoslavie” concernent deux journalistes allemands tués au Kosovo, dont on nous précise même que “ils auraient été tués par un groupe de paramilitaires fuyant vers la Serbie”. Des quatre autres journalistes tués dans la région cette année-là, on ne saura rien de plus.
Le même rapport oublie également de mentionner la Yougoslavie dans sa partie sur les enlèvements. Sont pourtant cités Sierra Leone, Colombie, Tchétchénie, Cuba, Congo, Cameroun. Pas un mot pour les journalistes serbes Mile Buljević, Ljubomir Knežević et Aleksandar Simović, ayant tous disparu au Kosovo en 1999 (photo). Enfin, dans le paragraphe sur les “restrictions à la liberté de la presse”, on nomme enfin un journaliste serbe, dans un paragraphe qui est un exemple de manipulation des faits :
“Dans la Yougoslavie de Slobodan Milosevic, les médias indépendants se sont vu imposer une ligne éditoriale faisant l’apologie du patriotisme et de la résistances serbes pendant la campagne aérienne de l’Otan. L’assassinat de Slavko Curuvija, directeur d’un quotidien indépendant, accusé de “trahison” par les autorités, a servi d’avertissement pour les plus récalcitrants.”
Tout est fait dans ce court paragraphe pour laisser entendre que ce meurtre est ordonné par les autorités yougoslaves dans un but éminemment politique, ceci sans le moindre début de preuve, surtout à l’époque de la rédaction de ce rapport.
Des dirigeants au passif lourd
Ce parti-pris n’est pas un accident de parcours, comme le montre par exemple la nomination de Pierre Haski à la tête de RSF en 2017.
Pierre Haski était chef du service international et rédacteur en chef adjoint de Libération pendant le conflit de 1999. Aucun de ses articles publiés entre 1999 et 2000 ne traite du bombardement de RTS ou des journalistes serbes tués ou enlevés. Au contraire, il a contribué à relayer de nombreuses fake news destinées à justifier l’intervention de l’OTAN au Kosovo, dont certaines ont été exposées dans cet article publié sur notre site :
Le 19 avril 1999, Haski reprend ainsi des accusations de massacres portées contre le président yougoslave Slobodan Milosevic, affirmant que son objectif est de “vider par la force le Kosovo de sa majorité albanaise”. Il cite un témoin affirmant avoir vu “de nombreux cadavres sur la route” et un autre parlant de “la séparation des hommes du reste de la famille”, ce qui évoque des crimes. Il poursuit en rapportant qu’il y a “plus de 100 000 hommes dont nous ne connaissons pas le sort”. Aujourd’hui, nous savons que la guerre du Kosovo a fait environ 10 000 morts, toutes catégories confondues, y compris civils et militaires. Ces déclarations d’Haski, ainsi que ses jugements de valeur incitant aux bombardements pour arrêter Milosevic, ont contribué à la diabolisation et à la déshumanisation du peuple serbe.
Une attaque ciblée
En Serbie, le paysage médiatique est diversifié, comprenant des journaux et des chaînes de télévision détenues par l’État serbe, des oligarques locaux et des intérêts étrangers. Par exemple, B92 est plutôt libéral et pourrait être comparé à BFM en France, tandis que le journal Politika est conservateur et ressemble davantage au Figaro. RT Balkans fait partie du groupe russe RT, tandis que la chaîne N1, très critique envers le gouvernement, est affiliée au groupe américain CNN. Malgré cette diversité, c’est RT, que RSF a choisi de cibler.
De même, on pourra s’étonner de constater que RSF exige de la Serbie qu’elle “mette en œuvre des solutions systémiques pour protéger l’espace informationnel européen et soutenir fermement un journalisme digne de confiance, garantissant le droit à l’information fiable des citoyens”, mais ne se soit pas élevé contre les nombreuses interdictions de séjour prononcées par les autorités de Pristina contre des journalistes serbes, le dernier en date étant Andjelko Utjesanovic, journaliste pour Tanjug, qui a été refoulé au poste administratif de Merdare en janvier de cette année alors qu’il se rendait au Kosovo pour accompagner le Patriarche serbe Porfirije dans une visite de plusieurs églises orthodoxes à l’approche de Noël.
La Rédaction de Balkans-Actu