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Stevan Gajić : « Un paradigme différent pourrait dominer la politique américaine »

L’élection de Donald Trump a été un événement majeur pour le monde entier, et particulièrement – entre autres bien sûr – dans les Balkans, où l’influence des États-Unis est majeure. Pour Stevan Gajić, chercheur à l’Institut des études européennes à Belgrade, il est encore trop tôt pour savoir si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la Serbie, tant que le nouveau Président n’a pas nommé tous ses conseillers pour sa politique étrangère. Mais il y a néanmoins déjà des choses à dire.

Ma réaction première à cette situation est un soulagement. Pourquoi ? Parce que cela signifie qu’un paradigme différent pourrait dominer la politique américaine. Pour nous, non-Américains, l’élément le plus important, celui sur lequel Trump a insisté, est sa volonté de réduire les tensions entre la Russie, les États-Unis et la Chine. Aux États-Unis, cela se traduit par une désescalade entre les grandes puissances. C’est une bonne chose, mais ce qui m’inquiète en revanche, c’est la politique pro-israélienne très militante qu’on entend souvent de Trump, et surtout de son entourage. Reste à savoir si son soutien à Israël se traduit par un soutien au régime de Netanyahu ou à l’État d’Israël en tant que tel. Il y a une différence entre les deux. Cette élection pourrait-elle signifier une nouvelle escalade au Moyen-Orient ? Je crains que ce soit le cas.

Cependant, il y a aussi des aspects positifs. Une conséquence intéressante de l’arrivée au pouvoir de Trump pourrait être la détérioration des relations entre Washington et Bruxelles. Lors de sa première élection, ses rapports avec l’Allemagne étaient très tendus, et je pense que ses relations avec Ursula von der Leyen, par exemple, se dégraderont également.

En tant que Serbe, et quelqu’un qui considère l’Union européenne et les États-Unis comme des colonisateurs, pour ne pas dire des ennemis, cette évolution m’apparaît comme une bonne nouvelle. Lors des guerres de sécession des années 90, les positions serbes ont été bombardées par l’OTAN, non seulement par les Américains, mais aussi par des Français, des Britanniques et des Turcs, directement impliqués dans les événements de Bosnie en 1995. Sans oublier le nettoyage ethnique des Serbes en Krajina, soutenu par les alliés des États-Unis et facilité par des mercenaires américains, ainsi que l’appui aux terroristes albanais au Kosovo. Lorsque Trump déclare que l’OTAN ne doit plus fonctionner comme avant, je salue ces déclarations. Toutefois, durant son premier mandat, il n’a pas pris de mesures concrètes pour démanteler l’OTAN. Je ne m’attends pas à ce qu’il réussisse dans ce domaine au cours de son deuxième mandat, mais je prévois des relations particulièrement tendues entre Trump et une partie de l’élite globaliste de Davos.

Ils ne s’aiment pas, et la plupart d’entre eux sont en conflit. La majorité de cette élite soutient les dirigeants de l’Union européenne, et a soutenu Kamala Harris. J’espère qu’après la victoire de Trump, ce soutien sera déstabilisé. Je suis heureux de voir le rôle de l’Union européenne s’affaiblir, car je m’attends à ce que l’administration Trump se concentre davantage sur les relations bilatérales entre les pays.

Concernant la guerre en Europe de l’Est, je pense que l’Occident, maintenant que la Russie prend le dessus, cherche constamment une solution viable. Je doute que la Russie cède à des provocations, bien que le scénario coréen soit souvent évoqué. Nous verrons ce qu’il en sera. Mais je ne crois pas que l’Amérique, même après les avertissements du professeur John Mearsheimer et d’autres experts, puisse encore provoquer une collision directe avec la Russie dans l’optique de contrer la Chine. En fait le plan de Mearsheimer était de faire une alliance avec la Russie contre la Chine, mais je pense que cela n’est plus possible. Au contraire, la Chine et la Russie sont devenues des partenaires stratégiques, et je ne pense pas qu’une « bonne volonté » née de l’Occident ou de Trump puisse inverser cette dynamique. En réalité, l’Occident a agi comme un partenaire peu fiable ces dernières années. Les accords passés n’ont pas été respectés, la règle de droit a été bafouée, et la sacralité de la propriété privée a été ignorée, aussi bien à l’étranger qu’à domicile. Ces dérives sont le fruit des élites occidentales, et je doute que Trump puisse réparer ce dommage. Nous verrons comment son initiative de paix se concrétisera, mais je ne pense pas que la Russie soit prête à geler un conflit avant de résoudre la menace existentielle qu’elle perçoit en Europe.

Le plus probable, c’est qu’on assiste à un réajustement de l’équilibre des puissances mondiales. Il semble y avoir une certaine bonne volonté de certains pour cela, et peut-être que Trump y contribuera. Toutefois, je me garderai de tout jugement définitif, car nous n’avons pas encore vu les personnes que Trump choisira pour les postes clés de son administration. Ces choix détermineront en grande partie la politique étrangère des États-Unis. Ce que je prévois, c’est qu’il y aura beaucoup de luttes internes au sein de son administration, avec probablement de nombreux scandales éclatant au grand jour notamment concernant la dernière administration. Il sera aussi intéressant de voir si des figures comme Robert Kennedy Junior ou Elon Musk auront une influence sur les changements internes aux États-Unis. Quoi qu’il en soit, je pense que le retour de Trump est un événement historique majeur.

Stevan Gajić, titulaire d’un doctorat en sciences politiques, est chercheur à l’Institut des études européennes à Belgrade et professeur invité à l’Université MGIMO de Moscou. Ses domaines d’expertise académique incluent la pensée politique américaine, les études européennes, ainsi que la politique russe et post-soviétique et les relations internationales.

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