Le 16 mai 2025, la capitale albanaise a accueilli 47 dirigeants européens dans un climat géopolitique tendu, affichant la volonté d’une Europe rassemblée.
La ville de Tirana, rarement sous les projecteurs internationaux, a été le théâtre d’un événement d’envergure ce 16 mai 2025 : le sixième sommet de la Communauté politique européenne (CPE). L’événement a réuni les chefs d’État et de gouvernement de 47 pays, confirmant la bonne insertion de l’Albanie dans le concert européen.
Un symbole d’inclusion européenne
Depuis sa mise en œuvre en 2022 à l’initiative d’Emmanuel Macron, c’est la première fois qu’un sommet de la CPE se tient dans un pays des Balkans occidentaux, région historiquement marquée par les divisions et désormais au cœur de la stratégie d’élargissement de l’Union européenne. Le choix de Tirana n’est pas anodin : il vise à affirmer que l’avenir européen passe aussi par les capitales des « marges » de l’Union.
Le Premier ministre albanais Edi Rama, hôte de la rencontre, a salué dans son discours d’ouverture « un moment historique pour l’Albanie et pour la région tout entière », insistant sur la nécessité d’intégrer plus étroitement les Balkans dans le destin collectif européen.
Un contexte électoral favorable à l’intégration européenne
Quelques jours seulement avant le sommet, les électeurs albanais se sont rendus aux urnes pour les élections municipales de mai 2025. Le Parti socialiste au pouvoir, dirigé par Edi Rama, y a consolidé sa domination politique à travers le pays, notamment dans les grandes villes comme Tirana, Durrës ou Fier. L’opposition, certes fragmentée, a pointé des irrégularités dans le scrutin, des soupçons corroborés par le média d’investigation BIRN et dont seuls quelques médias européens se sont fait l’écho.
Cette victoire électorale conforte cependant le gouvernement albanais dans sa stratégie d’arrimage résolu à l’Union européenne. En s’appuyant sur une majorité solide, Edi Rama entend accélérer les réformes judiciaires et administratives exigées par Bruxelles pour ouvrir pleinement les négociations d’adhésion.
Trois priorités affichées : sécurité, compétitivité, jeunesse
Face à la guerre en Ukraine, à une polarisation géopolitique accrue et aux instabilités internes dans les Balkans, le volet sécuritaire a dominé les échanges. Des engagements ont été pris pour renforcer la coopération contre la désinformation, améliorer l’interopérabilité militaire, et renforcer les dispositifs de cybersécurité.
Côté économie, le sommet a marqué un soutien renouvelé au plan de croissance de l’Union européenne pour les Balkans occidentaux, doté de 6 milliards d’euros, visant à améliorer les infrastructures, renforcer l’État de droit et moderniser les économies locales.
Enfin, la jeunesse a été au cœur de plusieurs panels : échanges universitaires renforcés, reconnaissance mutuelle des diplômes, et mobilité professionnelle figurent parmi les mesures discutées pour endiguer la fuite des cerveaux et favoriser une nouvelle génération européenne. Pour Tirana, ce sommet a aussi été un moment de fierté nationale. La ville s’est parée de drapeaux européens, les forces de sécurité ont été déployées en nombre, et les habitants ont vécu cet événement comme une validation symbolique de leur ancrage occidental.
Une vitrine européenne, mais des fondations fragiles
Malgré la mise en scène réussie du sommet, les fondamentaux économiques de l’Albanie révèlent une réalité plus contrastée. Avec un PIB par habitant d’environ 6 500 USD, l’Albanie reste en dessous de la moyenne régionale — loin derrière la Serbie, le Monténégro ou même la Macédoine du Nord. Le chômage des jeunes demeure élevé (près de 30 %), et l’économie informelle représente encore une part significative de l’activité.
L’économie albanaise reste fortement tributaire des envois de fonds de la diaspora et du secteur des services, avec une base industrielle limitée. Les investissements directs étrangers souffrent encore d’un manque de sécurité juridique et d’un climat d’affaires fragile. Si le plan de croissance de l’UE constitue une opportunité, sa mise en œuvre dépendra de réformes structurelles profondes.
Ce contraste entre ambition politique et réalité socio-économique est au cœur des défis albanais. La jeunesse, d’autant plus mobile quand elle est qualifiée, continue de regarder vers l’extérieur, alimentant une émigration qui prive le pays de forces vives.
Les limites de l’ambition politique
Si le sommet a été salué dans les principaux médias pour son format inclusif, les sujets de fond sont peu abordés et moins encore traités : les tensions au Kosovo, la dislocation inexorable de la Bosnie-Herzégovine ou encore la priorité accordée aux Balkans occidentaux vis-à-vis de l’Ukraine sur le chemin de l’intégration à l’UE.
Le sommet de Tirana s’inscrit dans une dynamique diplomatique nouvelle où la Communauté politique européenne tente d’incarner une architecture flexible mais unie. Entre les promesses de coopération renforcée et les réalités des tensions persistantes, l’Europe tente de réinventer son unité — une modeste capitale des Balkans en étant, pour un jour, le centre névralgique.