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L’Union Européenne demande à la Serbie de “choisir” entre son entrée dans l’UE et ses liens avec la Russie

Le 30 octobre, pendant une conférence de presse à propos des futurs élargissement de l’Union Européenne, le Haut Représentant Josep Borrell a déclaré que “on ne peut simplement pas maintenir ses liens avec la Russie, ou essayer de faire des affaires avec eux comme si de rien n’était, et espérer que son pays rentre dans l’UE. C’est l’un ou l’autre”. Une remarque évidemment adressée à la Serbie, ce qui a été confirmé plus tard dans une question posée reprenant les termes du rapport présenté pendant cette conférence de presse : “Elle [la Serbie] ne s’aligne sur aucune des mesures de restrictions contre la Fédération de Russie ni avec la plupart des exigences du Haut Représentant à ce sujet”. 

L’Union Européenne attend donc de la Serbie qu’elle choisisse entre l’Est et l’Ouest, entre l’Union Européenne d’une part et la Russie et la Chine – largement évoquée également dans cette même conférence de presse – d’autre part. 

Une exigence qui n’est pas sans incohérence pour Jean-Christophe Buisson, Directeur adjoint de la rédaction du Figaro et grand connaisseur de la Serbie, contacté par nos soins : “Cette remarque qui s’apparente à un “aimable” chantage est assez insupportable dans la mesure où on demande à la Serbie de choisir comme s’il y avait deux camps. Or non seulement l’Union Européenne n’est pas en guerre avec la Russie, mais en plus de nombreux pays membres gardent-ils des relations commerciales avec elle malgré les sanctions, de façon ouverte en ce qui concerne par exemple les produits alimentaires – Slovaquie, Hongrie, Bulgarie, Croatie, etc. – ou de façon bien moins officielle – et plus ou moins discrète – en ce qui concerne le pétrole et le gaz.”

Pour Nikola Mirković, Président de l’association Ouest-Est et géopolitologue, cette exigence montre même qu’il s’agit “d’une tentative de contrainte sur le choix d’un pays souverain de faire des affaires politiques, culturelles et économiques avec les pays de son choix”, ce qui pose la question de “la liberté des pays membres”.

Cette exigence ne risque donc de très mal passer auprès des Serbes, comme l’analyse JC. Buisson : “La diplomatie de la Serbie est multilatérale, très fine et intelligente : la Serbie est consciente qu’elle est petite, elle garde donc des relations avec tout le monde, à l’Ouest comme à l’Est, mais aussi au Sud notamment avec la Turquie. Une chose est sûre : elle ne choisira pas entre Est et Ouest. Elle est héritière de la Yougoslavie de Tito, qui a toujours cherché à garder des relations avec les deux blocs, même au plus clair de la Guerre Froide, tout en laissant entendre à chacun qu’il rejoindrait l’autre s’il n’obtenait pas ce qu’il voulait. Vučić reprend ça à son compte et reste sur cette même ligne.”

Et de préciser qu’il ne s’agit pas seulement d’une ligne politique : “Si on demandait au peuple serbe, je crois qu’il ne choisirait pas non plus. On a parfois l’impression qu’il y a deux Serbie, une de l’Ouest et une de l’Est, que le pays est divisé sur la question. Mais je crois moi que la ligne de séparation passe au coeur de chaque Serbe. Les Serbes vivent à l’occidentale, à l’européenne, avec des valeurs communes de liberté, de démocratie, etc. Mais ils sont orthodoxes, parlent une langue slave et ont une histoire commune avec le “grand frère” russe. Le génie de la Serbie, depuis toujours, c’est de ne pas choisir entre les deux.”

Une idée développée par Vladimir Kolarić, théoricien de la culture et de l’art, écrivain et traducteur à Belgrade, dans un texte publié par Balkans-Actu : « L’identité culturelle, civilisatrice, nationale et religieuse serbe repose sur l’idée répandue que la Serbie se situe “entre l’Est et l’Ouest”. Dans l’imaginaire collectif serbe, le premier archevêque serbe, Saint Sava (XIIe siècle), est souvent cité pour avoir affirmé que la Serbie se trouvait entre l’Est et l’Ouest. Cependant, Saint Sava, en tant que moine hésychaste du Mont Athos, considérait que la Serbie ne devait pas être entre les deux, mais au-dessus de l’Est et de l’Ouest. »

Partant de là, on comprend bien que la Serbie non seulement ne veuille pas choisir, mais ne le puisse même pas : choisir entre Est et Ouest, ce serait faillir à sa vocation profonde. Les dirigeants de l’UE le comprennent-ils ? JC. Buisson semble le penser, qui conclut : “On voudrait dire à la Serbie qu’on ne veut pas d’elle dans l’UE qu’on ne s’y prendrait pas autrement”.

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