Wayan Barre est un photographe français vivant aux États-Unis. En 2024, il s’est rendu plusieurs fois au Kosovo pour photographier “les derniers Serbes du Kosovo”, pour un reportage destiné à l’origine au magazine annuel du collectif “the Raw Society” et publié également dans d’autres médias. Il a répondu aux questions de Balkans-actu.
Wayan Barre, comment en êtes-vous venus à aller photographier les enclaves serbes du Kosovo ?
Je suis photographe documentaire, très intéressé par une photographie sociale. J’aime travailler sur la question de la communauté, sur les minorités, sur les laissés pour compte. J’ai pa exemple travaillé sur une tribu amérindienne qui vit dans le sud de la Louisiane, ou sur une communauté d’origine africaine vivant, toujours en Louisiane, dans un endroit particulièrement pollué.
Ma femme a vécu quelques années en Serbie et en garde un amour profond pour la serbie et pour les Serbes. Nos discussions sur le sujet font que j’ai eu envie de m’intéresser à ce peuple, et je cherchais dont un sujet plus précis. Quand j’ai découvert que des Serbes vivaient encore au Kosovo, en grande minorité, en subissant encore très violemment les conséquences d’une guerre qui s’est terminée il y a plus de 20 ans, ça a rejoint mes sujets habituels.
Le Collectif “the Raw Society” publie chaque année un magazine avec les reportages de ses membres, qu’il aide via un financement participatif. J’ai proposé un sujet, qui a été accepté et financé. J’ai fait mes premiers pas au Kosovo en janvier 2024. En tout, j’y suis allé six semaines.
Comment s’est passé ce reportage ?
Le Kosovo est un endroit où l’actualité est bouillonnante. Il se passe toujours quelque chose, même si personne ou presque ne semble s’en préoccuper. Les gens qui suivent cette actualité parlent volontiers d’une poudrière, prête à exploser à tout instant. J’ai ainsi par exemple assisté à la fin de la circulation du dinar serbe au Kosovo [interdit par les autorités de Pristina, NDLR] en janvier.
J’y suis allé avec un fixeur serbe, de Serbie centrale mais vivant au Kosovo depuis une quinzaine d’années. Il m’a énormément aidé, d’abord en m’emmenant voir des villages, des gens, des monastères, mais aussi en me permettant de gagner la confiance des gens. En effet, les Serbes du Kosovo sont assez réticents à parler aux journalistes étrangers. Ils ont l’impression d’avoir été trop souvent trahis, ils ont peur que ce qu’ils disent soit utilisé contre eux. Ce fixeur m’a permis de dépasser cet obstacle et de rencontrer énormément de gens.
Malgré ces craintes, j’ai découvert un peuple incroyablement accueillant. Je me souviens d’une journée dans l’enclave de Velika Hoča, où je suis passé de maison en maison pour fêter les slavas. Honnêtement, rakija aidant, je me souviens du début de la journée, mais pas de la fin ! Dans chaque maison, j’ai été accueilli comme un membre de la famille.
Un autre jour, alors que nous déjeunions dans un restaurant avec mon fixeur, un voisin s’approche, intrigué par le fait que nous parlions anglais. Nous discutons un peu, et il finit par nous inviter chez lui. Le lendemain, nous sommes allés dans son village, il nous a présenté à tout le monde…
Avez-vous rencontré des difficultés ?
Il y a eu quelques refus d’être pris en photo, mais c’est classique dans ce genre de reportages. Je me souviens de mon passage autour du monastère de Banjska, qui a été le théâtre d’affrontements entre la police du Kosovo et un groupe serbe armé en septembre dernier. Là, personne n’a voulu que je prenne de photos. Ailleurs, les gens ont parfois peur des représailles. Des Albanais, bien sûr, mais aussi parfois des autorités de Belgrade ou de gens recevant de l’aide de Belgrade.
Il y a aussi eu quelques moments de tension et de stress, notamment du fait que nous roulions dans une voiture avec des plaques serbes [les plaques d’immatriculation ont été au centre de graves tensions en 2023]. Quand on dormait dans une ville albanaise, j’avoue que je n’étais pas très à l’aise. Il est arrivé que mon fixeur dévisse les plaques pour la nuit. Quand j’étais seul, en revanche, j’étais parfaitement serein : Français vivant en Amérique, j’étais bien vu des deux côtés.
Mais malgré tout, je reste marqué par le souvenir d’un peuple serbe très digne, très sincère, très entier. Ils subissent et en ont marre, sont en colère contre les autorités kosovares, mais j’ai été très surpris de ne pas voir la moindre trace d’animosité envers les Albanais.
Avez-vous d’autres projets dans la région ?
Des projets, pas encore. Des idées, oui ! Déjà, j’aimerais beaucoup découvrir le Kosovo du côté des Albanais. Il y a aussi d’autres minorités au Kosovo qui vivent des choses difficiles aussi, différemment des Serbes. Je pense notamment aux Goranis, des slaves musulmans qui vivent dans les montagnes du sud et restent proches des Serbes, fêtant par exemple de nombreuses fêtes orthodoxes. Je suis aussi en contact avec un média français pour un reportage sur le pastoralisme transhumant dans les Balkans.
Wayan Barre est un photographe documentaire français vivant à la Nouvelle-Orléans. Il est membre du collectif the Raw Society. Il est également Stringer pour l’AFP et Bloomberg.
Le reportage “Le silence des merles : les derniers Serbes du Kosovo” est à retrouver dans le magazine annuel de the Raw Society, à commander en suivant ce lien.
Quelques photos ont également été publiées dans Geographical.