Une semaine après l’explosion du canal Ibar-Lepenac, Igor Simić, membre de la présidence du parti politique serbe du Kosovo la Liste Serbe, revient sur cet événement, et sur la situation de la minorité serbe au Kosovo, en exclusivité pour Balkans Actu.
Quelle est la situation au Kosovo quelques jours après l’explosion du canal ?
Vingt-cinq ans après les conflits au Kosovo et en Métochie, les Serbes restent une cible facile pour les extrémistes albanais et un fardeau pour les représentants internationaux qui n’aiment pas qu’on parle des souffrances du peuple serbe et des échecs de toutes leurs missions depuis 1999. Ces dernières années, avec l’arrivée du régime d’Albin Kurti, les Serbes vivent leurs journées les plus difficiles. Il s’agit d’une violence institutionnalisée bien planifiée, visant le nettoyage ethnique des Serbes du Kosovo et de la Métochie, de leurs foyers séculaires.
Le dernier incident montre que le régime de Priština a accusé les Serbes, Belgrade et le président Aleksandar Vučić avant toute enquête. Il semble que Kurti savait que l’attaque allait se produire, car il est incroyable qu’à peine 9 minutes après l’incident il ait déjà préparé une demande écrite pour déployer la KSF (les forces de sécurité du Kosovo) au nord du Kosovo et de la Métochie, en violation de l’accord avec l’OTAN, comme si ce n’était pas suffisant avec plus de 600 policiers albanais dans des zones purement serbes qui provoquent et battent les Serbes tous les jours depuis trois ans.
Les Albanais affirment souvent que les Serbes ne veulent pas coopérer avec eux au Kosovo. Que pouvez-vous répondre à cela ?
Nous n’avons aucun problème avec le peuple albanais, nous partageons cet espace avec eux depuis des années, des décennies et des siècles. Nous avons un problème avec ce régime qui fait tout pour expulser les Serbes. Le meilleur exemple est la décision du président de l’assemblée à Priština d’empêcher les députés de la Liste serbe de participer à la séance parlementaire et de parler des problèmes des Serbes. Les députés, représentants légitimes du peuple serbe, ont été expulsés sous les caméras de la salle plénière, en violation de toutes les lois et du règlement intérieur de l’assemblée, mais aussi des droits politiques et humains garantis par les règlements internationaux. Nous sommes engagés pour la paix et le dialogue comme moyen de résoudre toutes les questions ouvertes, mais notre main tendue reste dans l’air car à Priština nous n’avons pas de partenaire de dialogue.
Ces deux dernières années, 14 % des Serbes qui vivaient au Kosovo l’ont quitté en raison des mesures imposées par les autorités kosovares. S’agit-il selon vous d’une politique d’apartheid ?
C’est un nettoyage ethnique classique qui ressemble à de l’apartheid. Nous ne faisons plus face à de simples incidents isolés, œuvre d’extrémistes poussés par le discours anti-serbe du régime d’Albin Kurti, mais aussi à une pression institutionnelle qui a pour résultat l’interdiction de notre langue, de notre alphabet, la fermeture des institutions serbes dont dépend directement la survie de notre peuple, l’interdiction du dinar, ainsi que l’empêchement pour nos employés, retraités, citoyens socialement vulnérables, personnes handicapées, mères célibataires et étudiants de retirer leurs paiements du budget de la République de Serbie. Il y a aussi l’interdiction de la livraison de médicaments, de nourriture et d’autres produits pour nos écoles, résidences étudiantes, institutions de santé, et pour les citoyens en général, l’interdiction des manuels scolaires et de la presse…
Le régime de Kurti a créé des conditions de vie telles que les Serbes quittent leurs foyers, craignant pour leur propre sécurité et celle de leurs enfants. Alors, dans quel autre endroit en Europe, au XXIe siècle, peut-on interdire l’usage du cyrillique, saisir des biens sans expropriation, arrêter sans preuve, détenir et emprisonner au-delà des délais légaux, saisir le patrimoine culturel… Comment qualifier cela autrement qu’un apartheid ?
Les autorités de Priština semblent vouloir inciter les Albanais à s’installer dans le nord du Kosovo, qui est resté majoritairement serbe après 1999. Que se passe-t-il exactement ?
En parallèle des actions mentionnées qui visent à persécuter les Serbes, le régime de Kurti construit des centaines de maisons pour les Albanais qui n’ont jamais vécu dans le nord, qui est peuplé à 95 % par des Serbes. De plus, depuis des semaines, les membres de son parti viennent en bus de tout le Kosovo et de la Métochie dans les zones serbes pour des “promenades”, pendant lesquelles ils lancent des commentaires sexistes aux femmes serbes, sans que la police de Kurti n’intervienne. Les entrepreneurs serbes sont expulsés des commerces et remplacés par des hommes d’affaires albanais qui reçoivent de l’argent à travers des appels d’offres douteux, où les résultats sont connus avant même la fin du concours. En une phrase, le nord du Kosovo et de la Métochie est ethniquement nettoyé des Serbes et de tout ce qui est serbe. Malheureusement, la Sainte Église Orthodoxe Serbe n’échappe pas à ces attaques, elle est faussement accusée par les membres du régime de Kurti et menacée.
Le Kosovo a été créé par l’Occident, au nom de la défense de la démocratie et du multiculturalisme. Quelles sont les réactions des partenaires internationaux face à cette situation que vous dénoncez ?
Un silence frappant. Vingt-cinq ans après les conflits, les représentants internationaux n’ont jamais été aussi faibles à Priština. Ils ne font rien de plus que publier des déclarations anémiques sans aucun effet sur le terrain. Même face à l’expulsion brutale des députés, ils n’ont pas réagi. Aucun représentant international ne s’est rendu sur un seul lieu où le peuple serbe a souffert pour consoler les familles et partager leur chagrin avec le peuple serbe. Cela reste un privilège exclusif des Albanais. Les représentants internationaux ne peuvent tout simplement pas accepter de reconnaître leur échec. Il n’y a pas de démocratie, pas de primauté du droit, pas de respect des droits humains au Kosovo et en Métochie, et si le rythme de persécution des Serbes continue, le Kosovo ne sera plus « multiculturel ». Je ne sais pas de quoi les ambassadeurs de l’UE et du “Quintet” (les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne) peuvent se féliciter à la fin de leurs mandats actuels.
Dans ce contexte, comment voyez-vous l’avenir du Kosovo, quelle est la vision serbe ?
Le respect du droit international public, de la Charte des Nations Unies et des accords de Bruxelles, ainsi que la formation de la Communauté des municipalités serbes sont la base d’une solution de compromis au problème du Kosovo et de la création de conditions pour une vie meilleure pour tous les citoyens du Kosovo et de la Métochie. Les hommes politiques albanais doivent comprendre que nous, tout comme Belgrade dirigée par le président Aleksandar Vučić, sommes engagés pour la paix, le développement économique et le dialogue. La violence et les actions unilatérales de Priština doivent cesser avant que les relations ethniques ne soient tellement empoisonnées qu’elles nous mènent dans une direction indésirable. Les Balkans ont souffert pendant longtemps, il est temps de se tourner vers l’avenir. Cet avenir ne peut pas être construit par un régime à Priština qui utilise des méthodes fascistes pour régler ses comptes avec les Serbes.
Igor Simić est né et vit à Mitrovića. Maître de conférences à la Faculté d’Économie et directeur du service de la Direction du Fonds de pension pour le Kosovo et la Métochie, il a été député et chef du groupe parlementaire à l’Assemblée du Kosovo de 2017 à 2022. Il est aujourd’hui membre de la présidence de la Liste Serbe.