Srebrenica, l’instrumentalisation de l’oubli ?

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La petite ville de Bosnie-Herzégovine, tristement connue pour les crimes qui y ont eu lieu durant la guerre des années 90, est toujours le théâtre d’une lutte qui a dorénavant pris une autre forme. Au milieu, les victimes serbes cherchent toujours à être entendues.

Tout le monde, ou presque, a déjà entendu parler de Srebrenica, petite ville bosnienne très médiatisée par la presse occidentale en raison des crimes perpétrés par les forces serbes durant la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995), où environ 8000 hommes et adolescents bosniaques ont été exécutés en 1995 (version contestée par la partie serbe). En revanche, moins connues sont les victimes serbes, 3267 personnes tuées dans la zone proche, principalement entre 1992 et 1993, dont 72 enfants. Aujourd’hui les rescapés cherchent toujours à se faire entendre alors qu’une résolution de l’ONU, vivement critiquée par les autorités serbes, a instauré une “Journée internationale de commémoration du génocide de Srebrenica de 1995” en mai dernier. 

Portrait d’une victime serbe 

Branislav Vučetić, né en 1983 à Bratunac non loin de Srebrenica, est un rescapé. Alors qu’il n’a que 9 ans à l’époque, il perd d’abord sa mère qui est tuée en 1992 quelques mois après le début de la guerre. Elle se trouvait dans une camionnette avec d’autres civils lorsque plusieurs bosniaques ont surgi sur leur route en les mitraillant froidement. Traumatisé par le meurtre de sa mère, l’enfant se plonge dans le mutisme et doit faire face à la perte du reste de sa famille quelques mois plus tard.

En décembre 1992, la 28e division bosniaque commandée par Naser Orić fait irruption dans son village Bjelovac. La barbarie des actes commis envers les villageois, y compris des enfants, des personnes âgées et même le bétail, fait froid dans le dos (le visionnage du documentaire Dosije Srebrenica est à cet égard difficilement supportable). Le jeune Branislav est rapidement déplacé chez une voisine où il se cache dans le grenier de la maison avec deux enfants de 2 ans et 8 mois, ils font néanmoins face aux assaillants, l’un est armé d’une machette et s’apprête à les décapiter. Ils sont sauvés par l’intervention de l’un d’entre eux, connaissance de la voisine, et sont faits prisonniers. L’enfant fait face au corps sans vie de son frère accroché à la clôture de sa maison et est amené dans un endroit vétuste où il sera fait prisonnier et battu pendant près de deux mois alors qu’il avait reçu plus de 20 éclats d’une bombe lancée lors de l’attaque. Le petit Branislav est finalement libéré en février 1993 lors d’un échange de prisonniers, mais son calvaire n’est pas terminé et le suit jusqu’à maintenant.

Naser Orić  et ses acolytes en liberté 

Naser Orić est aujourd’hui un homme libre, après avoir été acquitté en appel en 2008 au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie et par le tribunal de Sarajevo. Vinko Lale, président de l’Association des détenus du camp de la région de Birač-Bratunac avait qualité ces acquittements de “farce” en disant que “prendre seulement trois cas sur plus de 2000 morts dans cette région est vraiment tragi-comique”. Orić est non seulement libre, mais il est même qualifié de “héros de guerre bosniaque et commandant légendaire de la défense de Srebrenica” par le plus grand quotidien bosniaque. À l’heure actuelle personne n’a été condamné pour les massacres commis dans les villages serbes des alentours de Srebrenica selon les associations de victimes.

L’instrumentalisation de l’oubli

Il me semblerait donc que les victimes serbes n’intéressent point le monde occidental qui a sanctuarisé Srebrenica par la résolution mentionnée précédemment, mais le sujet est toujours omniprésent dans la politique locale.

Le président serbe Aleksandar Vučić avait fait le premier pas vers la paix en 2015, lorsqu’il s’était rendu à Srebrenica pour assister à la commémoration des victimes bosniaques. Cette tentative d’apaisement avait été très mal reçue, puisque la foule s’en était pris à lui, l’obligeant à quitter les lieux afin d’éviter une lapidation. En mai dernier, il avait également pris position, comme Milorad Dodik, contre la résolution de l’ONU visant à qualifier de génocide l’exécution de 8000 hommes et adolescents bosniaques par les forces serbes bosniennes. Les autorités serbes bosniennes et de Serbie s’étaient à cette occasion rassemblées lors d’une grande manifestation à Banja Luka dénonçant une instrumentalisation contre le peuple serbe, lors de laquelle le rescapé Branislav Vučetić a tenu à rappeler qu’il y avait aussi des victimes du côté serbe, qui attendent toujours que justice soit faite..

Il est désormais manifeste, pour qui souhaite bien le voir, que les Serbes ont subi une campagne de propagande de grande ampleur depuis le début des années 90. Les mécanismes de mise en place d’une guerre sont désormais bien étudiés et la propagande y tient une place importante, tout comme le narratif d’après-guerre. Tout ce qui pourrait nuancer la situation n’est pas seulement du domaine de la vérité, mais toujours du prolongement de la guerre. Ainsi, il est probable que les victimes serbes soient définitivement oubliées par l’Occident, ne pouvant compter que sur Branislav et les associations locales pour se souvenir des femmes, enfants et personnes âgées sauvagement assassinés par des assassins vivant en liberté.

Image de La rédaction de Balkans-Actu

La rédaction de Balkans-Actu

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