La République de Serbie et Novi Sad, la deuxième plus grande ville du pays, ont été frappées par une grande tragédie le 1er novembre 2024. Dans l’effondrement d’un auvent à la gare de Novi Sad, 15 personnes ont été tuées et deux ont été grièvement blessées. Le bâtiment reconstruit de cette gare, en présence de représentants du gouvernement, a été inauguré solennellement seulement quatre mois avant ce terrible événement. Bien que les représentants du gouvernement aient immédiatement déclaré que la verrière qui s’est effondrée n’avait subi aucune retouche lors de la reconstruction, les images, les photographies et la documentation technique apparues dans le domaine public ont montré qu’ils ne disaient pas la vérité.
Le 5 novembre, des citoyens ont organisé un grand rassemblement de protestation à Novi Sad, au cours duquel certains participants ont été arrêtés. Une vague de mécontentement commença alors à se propager dans toute la Serbie. Des demandes de libération des personnes arrêtées ont été formulées et, lors de nouvelles manifestations à cet égard, le retraité Ilija Kostić, 74 ans, a été arrêté et brutalement battu au commissariat de police. À la suite des tortures policières, il est resté handicapé et les autorités ne veulent pas divulguer les noms de ceux qui l’ont mutilé ni les punir. Les expressions de mécontentement des citoyens se sont poursuivies à travers des blocages de rues et d’intersections, qui se sont déroulés en silence pendant 15 minutes (symboliquement, en mémoire des 15 morts). En réponse, le parti au pouvoir a envoyé des jeunes masqués pour attaquer physiquement et verbalement les personnes se tenant au barrage. Puis sont venus les blocages étudiants de la faculté. Depuis plus de deux semaines, toutes les facultés de l’Université de Belgrade et de l’Université de Novi Sad, ainsi que la plupart des facultés des Universités de Niš et de Kragujevac, sont fermées. Les étudiants vivent, dorment et étudient dans les facultés, mais il n’y a pas de cours ni d’examens. Les étudiants, soutenus publiquement par plus de 1 100 professeurs d’université et les facultés elles-mêmes, ont formulé trois revendications :
1. déterminer qui a attaqué leurs collègues lors du blocage de la rue devant la Faculté des Arts Dramatiques ;
2. Publier toute la documentation (y compris les contrats secrets) relative à la reconstruction de la gare de Novi Sad ;
3. Que le gouvernement augmente de 20 % les allocations aux universités d’État.
La première réaction du gouvernement a été de tenter de disperser les manifestations. Deux ministres du gouvernement et une partie de la direction des chemins de fer serbes ont démissionné. Les poursuites contre 13 personnes ont été engagées par le Parquet supérieur de Novi Sad, mais celui-ci est habilité à déterminer uniquement la responsabilité de l’effondrement de la verrière, et non d’éventuelles activités de corruption lors de la reconstruction de la gare. La détention a également été ordonnée à l’encontre du ministre des Transports Vesić, qui avait démissionné auparavant, mais il a été libéré après trois jours. Finalement, le président de la République, Aleksandar Vučić, a programmé une conférence de presse dans le bâtiment de la Présidence, devant lequel les étudiants manifestaient. Il leur a promis les allocations pour les universités publiques qu’ils demandaient, a exigé que ceux qui les ont attaqués soient punis et a apporté des documents qui, selon lui, concernaient la reconstruction de la gare de Novi Sad et a ordonné qu’ils soient publiés sur le site internet du ministère compétent. Il a ainsi conclu que toutes les revendications des étudiants avaient été satisfaites et qu’ils devaient retourner en classe et mettre fin au blocus de la faculté. Certains responsables du parti au pouvoir qui avaient été filmés en train d’encourager leurs membres à attaquer les gens lors des blocages d’intersections et de rues ont également démissionné.
« La plus grande manifestation de l’histoire moderne de la Serbie »
Les étudiants ont répondu qu’en vertu de la Constitution Serbe, le Président de la République n’est pas autorisé à répondre à ces demandes, et la Faculté de génie civil et la Faculté d’architecture de l’Université de Belgrade ont déclaré que la documentation clé n’a pas été publiée. Des lycéens et des collégiens se sont joints aux manifestations étudiantes en bloquant les carrefours et les rues, si bien que le gouvernement a décidé de mettre fin à la première partie de l’année scolaire trois jours plus tôt que prévu, ce qui a provoqué un nouveau mécontentement. Le gouvernement affirme désormais que les revendications des étudiants sont politiques et que l’opposition et les services étrangers les soutiennent dans le but de déstabiliser le pays. Malgré cela, Vučić a présenté, comme mesure supplémentaire, un plan pour des prêts plus favorables aux étudiants et aux jeunes en général, même à ceux qui ne travaillent pas, pour l’achat de leur premier appartement. Il semble cependant que cette offre n’ait pas trouvé d’écho auprès de la population étudiante.
Le point culminant du mécontentement est survenu le 22 décembre, lors d’une manifestation organisée par des étudiants à Slavija, l’une des principales places de Belgrade. Bien que l’annonce du rassemblement n’ait été publiée que sur les réseaux sociaux et dans un petit nombre de médias d’opposition, le rassemblement a réuni environ 100 000 personnes, ce qui est considéré comme la plus grande manifestation de l’histoire moderne de la Serbie. Le soutien aux étudiants a été apporté par des professeurs, des citoyens, des sportifs, des acteurs, des artistes et des représentants des partis politiques d’opposition. La manifestation s’est déroulée dans un silence digne pour rendre hommage aux victimes de Novi Sad. Bien que la veille de la manifestation, le président Vučić ait souligné qu’il pourrait, s’il le voulait, « disperser » les étudiants en quelques secondes seulement avec l’aide des forces spéciales de la police, après la manifestation il a appelé au dialogue. Les étudiants ont ensuite déposé leurs demandes auprès du Parquet de la République à Belgrade, le 24 décembre. La procureure de la République, Zagorka Dolovac, a déclaré qu’elle était prête à discuter avec leurs représentants.
En tant que professeur à la Faculté de droit de l’Université de Belgrade, qui les a publiquement soutenus, je souligne qu’à travers leurs revendications, les étudiants ne cherchent qu’à appliquer les principes de l’État de droit. Ils se comportent de manière responsable, décente, mature et, avec leur intelligence et leur esprit, ils montrent non seulement qu’ils partagent le sort de leur société, mais que la Serbie et le peuple Serbe peuvent fièrement compter sur eux à l’avenir. Ils ont prouvé qu’ils ne sont pas une génération dont les intérêts ne vont pas au-delà des médias sociaux. Grâce à leur attitude et à leur patience, ils ont convaincu la grande majorité des citoyens Serbes et ont prouvé que les traditions démocratiques sont profondément enracinées dans le peuple Serbe.
« Le peuple serbe demande le respect de ses droits »
De tout cela, il ne faut tirer que deux conclusions. Le peuple Serbe est capable et prêt à lutter pour sa propre liberté et à vivre dans une société démocratique fondée sur la connaissance et la responsabilité. Pour cela, nous n’attendons pas, ne recherchons pas et ne voulons aucune aide de l’étranger. La Serbie est notre pays et nous sommes capables de l’organiser de la bonne manière.
Ce que le peuple Serbe demande, c’est le respect des droits qu’il possède en tant que collectivité, dont jouissent chacun de ses individus et la République de Serbie dans son ensemble. Tout comme lorsque nous parlons d’autres pays et d’autres peuples. C’est pour cela que le peuple et le gouvernement, en France comme partout ailleurs, ne peuvent apporter leur aide que d’une seule manière. Il est nécessaire de mettre un terme immédiatement au soutien politique étranger apporté au président Vučić pour son régime antidémocratique, qu’il finance par des contrats corrompus que le gouvernement conclut avec des entreprises étrangères, en accordant la permission d’exploiter du lithium dans l’ouest de la Serbie au nom des intérêts de l’industrie automobile allemande et en cédant des éléments de l’État Serbe du Kosovo-Métochie aux sécessionnistes albanais. Le peuple Serbe, en tant que vieille nation alliée du peuple Français, mérite beaucoup.
Le Docteur Miloš Stanković est professeur agrégé à la Faculté de Droit de l’Université de Belgrade.