La Serbie serait en train de travailler sur une loi sur les agents étrangers semblable à la loi Fara aux États-Unis. Une loi qui soulève une opposition farouche, comme auparavant au Monténégro ou en Géorgie par exemple. Plusieurs personnalités politiques ou universitaires, françaises et serbes, interrogés par Balkans Actu, nous en disent plus.
Nikola Mirkovic, géopolitologue et spécialiste des pays de l’Est, rappelle que “un certain nombre de pays ont mis en place une loi de ce genre. Les USA d’abord avec la loi Fara, mais aussi la France”. Pour Laurent Ozon, intellectuel français connu pour ses analyses sur les tendances démographiques et les enjeux géopolitiques qui en découlent, cette loi “est une mesure qu’on pourrait qualifier d’immunitaire, qui s’inscrit clairement dans le fait que la plupart des guerres aujourd’hui dans le monde sont des guerres de quatrième génération, c’est-à-dire qu’elles visent à s’attaquer à la cohésion intérieure des sociétés, via l’intervention de forces étrangères”. Pour Nicolas Bay, député européen, “c’est légitime pour un État d’essayer d’obtenir le maximum de transparence sur les activités associatives et politiques sur son sol”, dans la mesure où une telle loi “n’empêche pas le débat public, n’empêche pas la liberté d’expression, mais permet simplement d’identifier de manière claire les motivations de ceux qui interviennent dans le débat”.
Jacques Hogard, ancien officier de la Légion étrangère, commandant du groupement interarmées des forces spéciales qui ouvre la voie à la Brigade Leclerc en Macédoine puis au Kosovo en 1999 lors de la guerre du Kosovo, voit dans les discussions autour de cette loi une volonté de la Serbie de “résister à l’hégémonie des États-Unis”. Ce qu’appuie Laurent Ozon, pour qui “la Serbie fait depuis longtemps l’objet d’une attention toute particulière de la part de l’Otan et des US, qui y ont installé un maillage notamment médiatique très important”.
Siniša Pepić, fondateur de Stratos, cabinet de conseil en intelligence stratégique, détaillait il y a quelques jours dans un article écrit pour Balkans Actu : “Les récentes manifestations à Belgrade illustrent parfaitement comment certaines organisations servent des intérêts qui ne correspondent pas toujours à ceux des peuples qu’elles prétendent représenter. Alors qu’une partie de la société serbe a sincèrement exprimé son mécontentement, une autre a été payée pour instrumentaliser cette colère. On connaît les mégaphones, les pancartes et les estrades – mais derrière, il y a les dollars. Des dollars américains.”
Une instrumentalisation que le président serbe Aleksandar Vučić craint de voir passer à une étape supérieure, d’après Nikola Mirkovic : “La Yougoslavie a déjà été la victime de révolutions de couleur, où les ONG financées par les atlantistes, dont l’Open Society de Soros, étaient déjà à l’oeuvre. Parce qu’il n’est pas à 100% sur la ligne atlantiste, Vučić craint une nouvelle révolution de couleur en Serbie, ce que cette loi voudrait empêcher.”
Certains en Serbie dénoncent pourtant un double-jeu de Vučić. Miloš Stanković, professeur à la faculté de droit de Belgrade, rappelle ainsi que “Vučić a invité l’ambassadeur américain à Belgrade, Christopher Hill, à surveiller les élections parlementaires et locales serbes, contrairement à ses pouvoirs et à ses pratiques diplomatiques, et à participer aux pourparlers entre le gouvernement et l’opposition sur la définition des conditions électorales”, ce qui lui enlèverait toute légitimité pour prétendre lutter contre les agents étrangers en Serbie.
Stefan Gajić, chercheur à l’Institut des études européennes à Belgrade, dénonce lui “un coup marketing”. Pour lui, Vučić est “une marionnette de l’Ouest” qui aurait fait “tout ce que Bruxelles demande à propos du Kosovo”.
Miloš Stanković va plus loin en accusant Vučić de vouloir museler l’opposition : “Il est clair que la proposition d’une telle loi vise uniquement à accroître la répression et l’intimidation des citoyens et à détourner l’attention de ceux qui, occupant les plus hautes fonctions de l’État en Serbie, font tout ce qui est contraire aux intérêts serbes et à aux dépens des intérêts étrangers.”
Cette loi sera-t-elle mise en place en Serbie ? Thierry Mariani, député européen, considère que “l’Union Européenne ne voudra pas que cette loi passe parce qu’elle permettrait de montrer ses tentatives d’ingérence”. Jacques Hogard, lui, annonce craindre “que la Serbie s’engage dans un combat difficile”. Laurent Ozon “espère qu’en Serbie le peuple aura l’intelligence de se rappeler que ce double standard n’est pas nouveau et qu’il lui a valu de grandes souffrances ces dernières décennies”.
Stefan Gajić considère au contraire que “cette proposition de loi n’est que cosmétique, il n’y a pas de réelle volonté de l’implémenter”. “Je n’attends rien”, conclut-il.
Paul Antoine, spécialiste de l’ex-Yougoslavie et contributeur régulier du site Balkans Actu, estime enfin que “Vučić doit sans cesse marcher sur la ligne de crête, pour ne pas se couper ni de l’Ouest ni de l’Est. Et à ce jeu-là, il se débrouille plutôt bien. N’empêche que seul l’avenir nous dira s’il arrivera à faire passer cette loi, et ce que ça pourra provoquer en Serbie…”