Élections municipales à Nikšić, un nouveau revers pour Milo Djukanović

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Au Monténégro se déroule depuis plusieurs mois une véritable révolution conservatrice. En août 2020, Milo Djukanović, le dernier dirigeant communiste d’Europe au pouvoir depuis 30 ans, a perdu les élections législatives ; il est depuis obligé de composer avec un gouvernement de coalition démocrate-chrétien. Le 14 mars 2021, les élections municipales ont amené à Nikšić, la seconde ville du pays, lieu de naissance de Djukanović, la même coalition de centre-droit, offrant une majorité proserbe et réformatrice.

Danilo Kovač, historien, questionne Alexis Troude, géopoliticien et spécialiste des Balkans.

Comment évaluez-vous les résultats des élections à Nikšić?

Les élections électorales dans la ville de Nikšić au Monténégro montrent plusieurs évolutions importantes. Dans la ville natale de celui qui a dominé la scène politique monténégrine depuis les années 1990, le président actuel Milo Djukanović, il est très intéressant de voir apparaître une opposition au niveau municipal à ce pouvoir autoritaire. Après les processions religieuses très suivies de l’an dernier puis la victoire aux élections législatives de l’opposition proserbe, on sent que l’alternative est voulue par les citoyens monténégrins aux niveaux national comme local.

En second lieu, la coalition désormais à la tête de la municipalité de deux listes pourtant différentes (« Pour l’avenir du Monténégro » menée par Zdravko Krivokapić et « Paix pour notre pays »dirigée par Momo Koprivica) montre que les Monténégrins ont opté pour une coalition et une politique de compromis. C’est un fait nouveau dans un Monténégro dirigé depuis plus de 30 ans par le DPS (Parti Démocratique socialiste), mais qui peut le rapprocher des usages dans les démocraties occidentales.

Enfin, je pense que ces bons résultats pour un parti de la liste « Pour l’avenir du Monténégro », le Front Démocratique (DF), qui est déjà le parti-pivot au pouvoir au gouvernement central, vont permettre de faire avancer plus aisément les réformes politiques et économiques nécessaires au Monténégro.

Est-ce que les élections ont une signification étendue à tout le Monténégro?

Oui, je pense que la victoire de l’opposition au régime autoritaire de 30 ans de Milo Djukanović a une importance à l’échelle de tout le pays. En effet, dans la deuxième ville du pays qu’est Nikšić, tous les analystes avaient les yeux rivés sur ces résultats. Même si la coalition « Pour l’avenir du Monténégro » (DF/SNP) a obtenu moins de voix qu’envisagé au départ (25,9 % des suffrages), cela lui permet de rentrer comme parti majoritaire à l’assemblée locale. Ce parti proserbe pourra à l’échelle locale mieux représenter la population majoritairement serbe de la municipalité, ce qui n’était pas le cas du DPS qui leur tournait le dos.

Renouer avec les Serbes de toute la région

Mais aussi, dans un centre économique, industriel et un carrefour de communication comme Nikšić, ces résultats signifient aussi que, comme à Kotor ou à Budva, des majorités politiques dirigeront pour les prochaines mandatures municipales des régions entières en accord avec le gouvernement national, lui aussi porté par l’idée de la défense des intérêts serbes. À la fois plus respectueux du caractère plurinational du Monténégro (Monténégrins, Serbes, Albanais, Bosniaques et Turcs) et mieux coordonnés avec le gouvernement central (même parti), ils auront à coeur de développer les réformes qui s’imposent au pays.

J’irai même plus loin en disant que ces résultats sont en harmonie avec l’idée de la défense des intérêts serbes dans toute la région. En effet, n’oublions pas que Nikšić est à quelques dizaines de kilomètres de la Republika Srpska, une des deux entités de la Bosnie-Herzégovine ; dans un accord entre les peuples serbes des deux côtes de la frontière, l’économie, les transports et les échanges culturels pourront mieux être en symbiose.

Les élections à Nikšić ont provoqué une grande attention dans toute la région. Pensez-vous qu’il y a des raisons tangibles pour cela ?

Ces résultats favorables à la coalition proserbe vont permettre au gouvernement de Monsieur Krivokapić de renouer les liens avec la matrice serbe. Les derniers mois du gouvernement DPS avaient été marqués par la volonté de Milo Djukanović de couper les ponts avec la Serbie, de façon parfois brutale ; on se souvient de l’arrestation à la frontière serbo-monténégrine, durant la campagne des législatives à l’été 2020, de l’écrivain Matija Bečković. Dans une relation plus apaisée avec la Serbie voisine, le Monténégro va pouvoir renouer avec les Balkans et en quelque sorte se désenclaver, en accélérant notamment le projet autoroutier et ferroviaire Podgorica-Belgrade, les deux capitales.

Plus largement, ces élections municipales et législatives au Monténégro ont offert en l’espace de quelques mois l’occasion historique pour le peuple serbe de dépasser ses divisions internes et, dans un projet national renouvelé, de nouer des alliances avec les partis frères. Je pensai par exemple au parti Srpska d’Igor Simić au Kosovo-Métochie .

Comment considère-t-on en France Milo Djukanovic et son régime ? Entend-on parler de la nature criminelle de son régime ?

L’opinion publique française, et occidentale en général, est très peu au fait de l’actualité dans les Balkans, et notamment des affaires monténégrines. Mes amis et moi avions par des publications et des manifestations alerté le public encore l’an dernier sur le caractère autoritaire de Djukanovic mais ces événements avaient rencontré peu d’échos dans la presse officielle française.

Celle-ci a intérêt à garder secret ce qui se passe actuellement au Monténégro pour plusieurs raisons:

  • étant un pays laïc, la France ne peut comprendre l’adhésion à un mouvement religieux et donc la lutte d’un peuple entier pour défendre ses églises ne peut être comprise dans le pays le plus sécularisé au monde, la France ;
  • c’est toujours le deux poids deux mesures qui régit les affaires internationales, notamment en ce qui concerne les Balkans. Alors que les médias grand public se font fort de critiquer l’autoritarisme d’un Loukachenko, car la Biélorussie est frontalière avec la Russie, il ne faudrait surtout pas évoquer que le dernier apparatchik communiste des Balkans, Milo Djukanović, a perdu la majorité au Parlement à l’automne dernier, car le Monténégro se trouve dans la sphère occidentale, déjà l’OTAN et bientôt l’UE ;
  • mais surtout, et notamment pour les leaders d’opinion en France, qui suivent les Balkans depuis trente ans, toute mise en relief d’une information qui viendrait à montrer qu’un de leurs chouchou n’ait plus la majorité, démontrerait que toutes les informations qu’ils ont distillé depuis trente ans était faux. Donc avouer qu’il se sont trompés et tout leur édifice explicatif tomberait comme un château de carte (comme sur les exactions au Kosovo-Métochie par exemple).

À part les élections à Nikšić, une grande attention a été portée dans les médias locaux à la présence du Premier ministre Krivokapić à l’enterrement de l’Evêque orthodoxe de l’Éparchie Zahum-Herzégovine, Monseigneur Anastasije? De quelle façon vous analysez la stratégie du Premier ministre?

Bien qu’il ait déclaré que c’était une visite privée, la délégation qu’il composait avec plusieurs autres ministres du gouvernement monténégrin montre que c’était une visite quasi-officielle dans la République serbe de Bosnie.

Krivokapić a participé aux longues processions de l’année 2020 et a créé un rassemblement d’intellectuels sous le Collectif «Nous n’abandonnerons pas le Monténégro», s’opposant aux mesures autoritaires et antilibérales du Président monténégrin.

En se déplaçant à Trebinje, en République serbe de Bosnie-Herzégovine, ce chrétien-démocrate a voulu signifier son soutien fervent à l’Église orthodoxe serbe, retournant ainsi l’ascenseur. En effet, durant la campagne électorale au Monténégro qui l’a mené à la victoire à l’automne 2020, l’Église orthodoxe serbe et le métropolite Amfilohije s’étaient engagés clairement pour Krivokapić. À tel point que le premier geste du nouveau Premier ministre du Monténégro avait été de se rendre à l’Éparchie baiser la main du métropolite Amfilohije, lequel avait été même consulté pour la nomination des ministres.

Par ce geste, Krivokapić se place ainsi dans la droite ligne de la grande famille démocrate chrétienne européenne. Il veut aussi prendre le contrepied de pratiques népotistes de Milo Djukanović, mettant fin à trente ans de pouvoir du DPS (Parti Démocrate socialiste) marqués par une forte corruption.

La rédaction de Balkans-Actu

La rédaction de Balkans-Actu

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