L’amitié franco-serbe, liée dans le sang des soldats de 14-18

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L’amitié franco-serbe ne date pas de 14-18. Mais le premier conflit mondial a été l’occasion de fortifier cette amitié en combattant côte à côte sur le front des Balkans. Un souvenir que les Serbes chérissent encore aujourd’hui.

Après l’échec des Dardanelles à l’été 1915, une partie du corps expéditionnaire franco-britannique fut ramenée dans le port grec de Salonique. Le 25 novembre 1915 fut donné l’ordre historique de retraite de l’armée serbe par le roi Pierre Ier, qui refusait la capitulation. Commença alors un épisode tragique qui se terminera seulement le 15 janvier 1916 : la traversée de l’armée et de la cour royale serbes à travers les montagnes d’Albanie. Assaillie par le froid et les maladies, un tiers de l’armée serbe périra. Le lieutenant-colonel Broussaud signalait l’ « épuisement physique et moral complet » et des « coups de fusils des comitadjis albanais » ; il évoquait aussi la mort de jeunes recrues par centaines le long des routes. Or ce fut l’armée française qui, sur 120 000 soldats serbes arrivés à pied sur la côte albanaise, en récupéra 90 000 pour les transférer sur l’île grecque de Corfou.

Entre le 15 janvier et le 20 février 1916, furent ainsi évacués à Corfou plus de 135 000 soldats serbes. Lorsqu’ils débarquèrent sur l’île grecque, on pouvait lire dans le carnet de route du 6° chasseurs alpins que « l’état d’épuisement des malheureux soldats serbes [était] extrême : il en mourait 40 par jour ». À Corfou, les médecins allaient entièrement rétablir cette armée en guenilles et les instructeurs la remettre sur pieds : deux hôpitaux militaires furent dès lors installés et, fin mars, plus aucune épidémie n’était à l’œuvre.

Svetozar Aleksić, paysan du centre de la Serbie, fut réjoui d’avoir été, durant le transport de Corfou, rasé, lavé et habillé comme de neuf. « Qu’ils [les Français] bénissent leur mère-patrie, la France. Ils nous ont alors sauvé la vie ». La même reconnaissance se retrouve dans la lettre du ministre serbe de la Guerre au général Mondésir, responsable de l’évacuation de Corfou. Le 24 avril 1916, il affirmait que « les chasseurs, pendant leur séjour à Corfou, ont gagné les cœurs des soldats et de leurs chefs par leur dévouement inlassable envers leurs camarades serbes ». Ce dévouement explique que « les Français portaient à leurs camarades serbes leurs équipements et leur donnaient la plus grande partie de leur pain ». De plus, les Français, si proches et attentionnés avaient créé des liens indéfectibles. Le prince Alexandre dit, en avril 1916, à Auguste Boppe : « Les Serbes savent aujourd’hui ce qu’est la France. Jusqu’ici, ils ne connaissaient que la Russie. Or, nulle part ils n’ont vu les Russes, partout ils ont trouvé des Français : à Salonique pour leur tendre la main, en Albanie pour les accueillir, à Corfou pour les sauver ».

Dans les écoles, une « journée franco-serbe »

En fait, les slavisants de renom multiplièrent seulement au milieu de la guerre  les conférences et firent ainsi connaître les peuples balkaniques. L’historien Ernest Denis publia son livre célèbre sur « la Serbie » en 1915 et Victor Bérard en 1916. Et puis les journalistes spécialisés allaient mieux faire connaître les réalités serbes. Henry Barby, correspondant de guerre au Journal, écrivit en 1915 une série d’articles sur les batailles menées à Kumanovo et à Bregalnitza pendant les guerres balkaniques. Charles Diehl, dans son ouvrage de vulgarisation L’Héroïque Serbie qui parut en février 1915, relatait les victoires serbes à Tser et Kolubara.

Auguste Albert, mitrailleur sur le front de Salonique, était étonné par l’amour du Serbe pour sa terre. Lorsqu’il se battait contre les Bulgares, le Serbe criait : « C’est ma terre, ne l’oublie pas ». Puis Auguste Albert  ajoutait : « Dans l’offensive attendue depuis longtemps [ndlr : la percée du front], j’ai été frappé par des choses étonnantes. J’ai remarqué comment le soldat serbe s’agenouille sur son sol natal et l’embrasse. Ses yeux sont pleins de larmes et je l’entends dire : ‘Ma terre’ ». Il faut savoir que les Bulgares avaient occupé de 1915 à 1918 tout le sud-est de la Serbie.

Les conférences en Sorbonne par de grands slavistes devenaient plus fréquentes en 1916. Emile Haumant et Victor Bérard, qui avaient créé le « Comité Franco-serbe »,  y développaient leurs idées généreuses sur la Serbie. En Sorbonne se tinrent aussi des manifestations réunissant universitaires, hommes de lettres et responsables politiques. L’historien Ernest Denis prononcera, rien qu’en 1916, pas moins de trois conférences sur les Serbes et la Yougoslavie : le 27 janvier 1916, le président de la République, Raymond Poincaré, y assista. Le 8 février 1917, l’ « Effort serbe » fut organisé par le comité l’ « Effort de la France et ses alliés » : cette initiative permit d’envoyer plus de 67 000 vêtements aux sinistrés de 1916. Enfin, le gouvernement organisa, le 25 mars 1915 et le 28 juin 1916, des « Journées franco-serbes » dans toutes les écoles pour faire connaître notre allié lointain.

En septembre 1918, les colonnes du Général Tranié et du Maréchal Franchet d’Esperey perçaient le front de Salonique dans le massif de la Moglena et, en l’espace de trois semaines, libéraient la Macédoine et la Serbie. Le général allemand Mackensen déclarait lors de cet événement : « Nous avons perdu la guerre à Salonique ».

Ces opérations militaires menées ensemble finirent de souder les liens entre Serbes et « poilus » d’Orient et de nouer une amitié indéfectible. Paul Roi, élève-officier dans l’artillerie, évoquait l’habitude des combats qui avait fini de rapprocher les deux armées. « La joie des Français et des Serbes dès le moment où les canons tonnent. Ces canons ont comme redonné espoir aux soldats serbes dans la pensée du retour proche dans leur patrie. Nous, Français, avions une patrie. Tous les soldats français étaient conscients de cette situation ; de là leur volonté de se battre épaule contre épaule pour la liberté de la terre serbe ».

Georges Schweitzer, officier-artilleur à Monastir en 1916 puis à la Moglena en septembre 1918, racontait l’abnégation des soldats serbes pendant la bataille. Blessé et perdu dans une tranchée dans le massif de la Moglena, Schweitzer fut sauvé d’une mort assurée par plusieurs Serbes venus le soigner dans la tranchée. « D’un coup, j’ai compris que j’étais entouré d’amis, de gens fantastiques, des soldats serbes qui sont maintenant là, à côté de moi. » Les Bulgares continuèrent à s’approcher en lançant des grenades, mais sa peur avait disparu. « Mes blessures sont soignées, le sang ne coule plus mais ce qui est le plus important : je ne suis plus seul. C’est maintenant la lutte pour moi : quand un soldat serbe se relève et lance une bombe, il le fait pour moi, il défend ma vie ! » À ce moment-là de la guerre, la solidité des liens entre Serbes et Français expliquait en partie la victoire obtenue par Franchet d’Esperey.

« Aux libérateurs de la Serbie »

Le général Tranié, qui libéra Skoplje en Macédoine puis Djakovo et Mitrovica au Kosovo-Métochie, nous a laissé des témoignages saisissants de l’amour d’un peuple pour son libérateur. À Kuršumlija, sur la route qui menait de Mitrovica à Niš, « les gens sont habillés pauvrement, les enfants presque nus, mais la population nous offre ce qu’elle a, les maisons sont largement ouvertes aux Français ». Partout sur la route menant à Niš, des scènes d’accolade, des offrandes de pain, de vin et de fromage, toujours données de bon cœur par un peuple pourtant touché par la disette. Arrivés à Niš, la seconde ville serbe, les soldats de l’Armée d’Orient furent accueillis avec tous les honneurs : les plus vieux ne laissaient pas le général Tranié remonter à cheval et l’embrassaient comme s’il était leur fils.

Puis en remontant la vallée de la Morava, des actes symboliques très forts, qui allaient continuer de sceller l’amitié franco-serbe, émaillaient le chemin. A Aleksinac, le général Tranié fut enthousiasmé par l’accueil qui lui fut réservé : « De jeunes filles chantent la Marseillaise et m’entraînent dans la ronde dansée par tout le village ». Plus loin, à Čuprija, le maire de la ville fit un discours en français et les soldats serbes offrirent en guise de cadeau à l’Armée d’Orient des foulards ; à Svilajnac, des demoiselles offrirent au général Tranié un drapeau brodé de lettres d’or par leurs mères où il fut écrit en lettres cyrilliques : « Aux libérateurs de la Serbie, les demoiselles de Resava ! »

La rédaction de Balkans-Actu

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