Crise migratoire en Méditerranée Orientale : l’éternel retour de « la politique de la bascule » ottomane et sa future impasse stratégique

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Le 28 février 2020, le gouvernement turc a décidé de « ne plus retenir » les migrants arrivés sur son sol depuis 2011 et le début de la guerre civile syrienne, préfigurant une nouvelle crise migratoire, à l’image de celle de 2014 qui a contribué à aggraver le risque sécuritaire dans l’ensemble de l’Europe, alors en pleine crise sécuritaire suite aux attentats du Bataclan. En effet, le brutal afflux migratoire de la crise migratoire a eu des conséquences graves en matière de sécurité intérieure en Europe car elle a facilité l’infiltration des nombreux combattants étrangers de Daech ainsi que de certains chefs terroristes notoires comme Lavdrim Muhaxheri, le tristement célèbre chef terroriste du détachement albanais du Front Al-Nosra repéré à l’époque en Macédoine par l’UBK.

Cette décision a été motivée par plusieurs évènements majeurs survenus en 2019 notamment :

  • L’aggravation de la crise économique et sociale en Turquie, exacerbée par les attaques spéculatives de la JP Morgan sur le cours de la livre turque (hausse de l’inflation à plus de 20 % début mai 2019).
  • Les actions d’influence régionale de la Turquie comme le récent déploiement de la marine turque en Méditerranée Orientale le long du futur de ses frontières maritimes avec le gouvernement d’union nationale (GUN) Al Sarraj, connu pour être soutenu par des milices islamistes et son soutien logistique et militaire à ce dernier. En effet, la Turquie a envoyé sur place deux frégates de la Türk Deniz Kuvvetleri (la marine de guerre turque), des miliciens syriens convoyés sur place par la compagnie aérienne libyenne Afriqiyah Airways et la compagnie Al Ajniha. Cette situation a contribué à exacerber les tensions avec la Grèce, la République de Chypre et Israël, pays partis prenants au projet EastMed.
  • Les dernières offensives de l’armée turque visant à poursuivre le maintien d’un glacis territorial dans le nord de la Syrie, afin de sécuriser le territoire national turc des multiples infiltrations et actions de plusieurs groupes kurdes notamment le YPG et le YPJ, notamment l’opération « Source de Paix » lancée entre le 2 et le 22 octobre 2019 et l’Opération « Bouclier du Printemps », lancée le 1er mars 2020 dans le cadre de la bataille d’Idleb, afin de contrer l’avancée des forces armées syriennes et de ses alliées (Russie, Iran et diverses milices confessionnelles comme le Hezbollah,) qui ont reconquis les villes de Maarat al-Nouman et Saraqeb entre fin janvier et début février 2020. Or, cette offensive turque vient de subir un coup d’arrêt, suite à la contre-offensive des forces armées syriennes et du Hezbollah du 2 mars où elles ont repris la ville de Saraqeb et le 5 mars 2020, sanctuarisée par le déploiement d’unités de la police militaire russe et la signature d’un accord de cessez-le-feu signé entre la Russie et la Turquie.

Cette tentative de pression politique afin que les Européens s’acquittent de la somme énorme de 3 milliards de dollars, réclamée par Ankara en 2014, risque de conduire temporairement la Turquie dans une impasse stratégique et à revoir son attitude particulièrement agressive, puisque le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères français a déclaré « qu’il ne céderait pas au chantage », suivi du Président de la République, Emmanuel Macron, qui a annonçait le 2 mars que « la France est prête à soutenir les pays d’Europe à protéger les frontières afin d’éviter une crise migratoire ».

Gageons que la France et Frontex ne se contenteront pas de ces vagues déclarations d’intention et sauront trouver un dispositif efficace de gestion de crise, l’actuel modèle de mobilisation de Frontex, constitué de contingents nationaux temporaires, ayant montré rapidement ses limites notamment en termes de délai de mobilisation.

De plus, il serait souhaitable d’adapter et de renforcer la mission EULEX et l’ensemble de ses moyens présents au Kosovo, pays qui se trouve sur le passage de la traditionnelle route Turquie-Bulgarie-Macédoine et la nouvelle route Albanie — Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), comme le confirmait un responsable de premier plan des douanes de Macédoine.

Parallèlement à cette situation, la pandémie de coronavirus 2019 (COVID-19) risque de faire des 150 000 migrants abandonnés à leur sort par les autorités et l’armée turque de potentielles victimes et porteurs de ce virus, ce qui va exacerber les tensions déjà particulièrement fortes entre eux et les habitants de l’île de Lesbos. En effet, plusieurs émeutes ont éclaté sur place et ont fait plusieurs morts parmi les migrants, faisant de cette crise, une bombe sanitaire et géopolitique de plus à gérer dans les Balkans.

La rédaction de Balkans-Actu

La rédaction de Balkans-Actu

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